La macroéconomie est toujours au centre des débats entre économistes du courant dominant. Beaucoup continuent à utiliser la macroéconomie « à l’ancienne » (basée sur un mélange d’identités comptables et de « relations de comportement liant des agrégats » établies de façon empiriques), tout en s’attirant les foudres des puristes, qui dénoncent l’absence de « fondements microéconomiques » de leurs modèles. Fondements qui se réduisent, dans leur cas, à la maximisation de la fonction d’utilité (intertemporelle) d’un « agent représentatif ». Peu osent encore s’en prendre à ce principe sacro-saint. Toutefois, la crise de 2008 a remis au goût du jour la thèse sur les comportements « irrationnels », moutonniers, sur les marchés financiers, défendue depuis longtemps par ceux que l’on appelle les « behavioristes » (ou « comportementalistes »). Plus proches du terrain, ceux-ci ont vu leur position renforcée dans la profession – leurs articles occupant de plus en plus de place dans les publications académiques, au détriment de ceux traitant de « théorie pure ».
Ayant écarté de fait la microéconomie traditionnelle (celle qui est encore, hélas !, enseignée dans les manuels), certains behavioristes s’en prennent à la macroéconomie académique dominante, « à agent représentatif ». Sentant venir le danger – les modes changent vite en macroéconomie ! – son représentant le plus éminent, Robert Lucas, a réagi (en 2011) en avançant un argument étrange : les comportements des individus sont tellement compliqués – il suffit d’observer ce qui se passe dans n’importe quel ménage – qu’il est illusoire de vouloir en tirer des conclusions (ou régularités, ou « lois ») au niveau agrégé, celui de la population d’un pays, par exemple. Des propos très étonnants de la part d’un des défenseurs les plus acharnés des fondements microéconomiques. Justifiés vaguement par une thèse du genre : « Les comportements des individus étant trop compliqués, gardons ceux que nous leur attribuons dans nos modèles et qui nous permettent de parvenir à des résultats – même s’ils ne s’accordent pas aux faits ».
Paroles prononcées lors d’une rque éunion de spécialistes et apparemment passées inaperçues – à l’époque, il y avait d’autres chats à fouetter … – mais que Brad DeLong vient de ressusciter, en attirant l’attention sur le caractère contradictoire des propos de Lucas. Relayé par Noah Smith qui présente les choses de façon particulièrement claire, tout en ne s’en prenant pas vraiment à l’idée d’agent représentatif – il donne l’impression que ce qui est en jeu est le comportement de cet agent.
Stephen Williamson, un autre bloggeur connu, a bien essayé de défendre Lucas, mais en avançant un argument tellement étrange qu’on en reste pantois :
« Plutôt [que de s’intéresser au comportement des individus], les ’fondements microéconomiques’ consistent à chercher les éléments du modèle – comportement maximisateur, contraintes, information – qui expliquent à partir des principes premiers (first principles) le comportement de larges groupes d’agents économiques »
Ainsi, par une procédure mystérieuse, les comportements hétéroclites et largement imprévisibles des individus auraient pour résultante un comportement global proche de celui qui est supposé par le modèle. Face aux critiques, il s’enfonce un peu plus en affirmant :
« n’ayant pas de théorie prédisant le comportement des individus, nous prenons la meilleure théorie économique]] disponible – qui d’une certaine façon donne un sens au comportement moyen – et l’incorporons dans notre modèle macro »
C’est quoi la « meilleure théorie économique disponible » ? C’est :
“Celle qui nous sert dans notre recherché économique de tous les jours, qu’on trouve dans nos articles de recherche, dont nous discutons dans nos congrès, que nous appliquons aux problèmes pratiques de la politique économique ».
On tourne en rond … Puis vient l’argument ultime :
“Proposez moi une qui soit meilleure, et je m’en servirai”.
A condition qu’il y ait au moins une fonction-objectif à maximiser, bien entendu.