La crise de 2008 et les années qui suivirent ont totalement bouleversé la vision qui prévalait jusqu’alors – notamment dans les manuels. L’image d’une banque centrale “déversant des liquidités sur l’économie”, avec un “effet multiplicateur” et se terminant par une hausse de l’inflation – faisant de celle-ci un phénomène “purement monétaire” – a été totalement décribilisée. Du moins parmi les ceux qui réflechissent un peu. En revanche, elle est encore très prégnante dans le discours des média – presse, radio, télévision. C’est pourquoi il nous semble bon de rappeler quelques points de base – incontestables (ce qui est si rare en économie !) – que tout étudiant en économie doit impérativement connaître.
Ce qu’il faut savoir
- La création monétaire est essentiellement le fait des banques commerciales, quand elle font crédit aux ménages et aux entreprises.
- La monnaie créé ainsi est une monnaie “privée” (monnaie SG, monnaie BNP, monnaie Crédit Agricole ...), qui nécessite pour être validée une monnaie “supérieure”, acceptée de tous : la monnaie banque centrale (BC). Cette validation a lieu au niveau du compte que chacune des banques privées détient auprès de la BC (marché interbancaire). Au jour le jour, ces banques soldent sur ce marché leurs comptes, en monnaie BC ou se font crédit (au taux d’intérêt interbancaire).
- La banque centrale “alimente” le marché interbancaire en lui fournissant plus ou moins de sa monnaie, à travers l’achat ou la vente de titres (souvent des bons du Trésor) aux banques qui y sont présentes. C’est la politique dite d’"open market”, qui a donc pour but de faire baisser ou monter le taux d’intérêt interbancaire et, ce faisant, d’exercer une influence sur les taux proposés par les banques commerciales à leurs clients (selon qu’elle cherche à “stimuler” ou à “ralentir” leur activité – consommation, investissement).
- L’image selon laquelle “la banque centrale inonde l’économie de liquidités” avec sa politique de Quantitative Easing est donc trompeuse, si ce n’est totalement erronée. Les fameuses “liquidités” (la monnaie BC) ne quittent pratiquement pas la BC et servent quasi exclusivement aux banques commerciales pour leurs transactioin sur le marché interbancaire. Le but de la BC est de montrer à ces banques qu’elle est prête à leur venir en aide si elles ont des problèmes de solvabilité. Par exemple, en leur rachetant ou en acceptant comme garantie (“repo”) les titres qu’elles détiennent. C’est ainsi que la fed et la BCE ont, au plus fort de la crise, élargi fortement le domaine des actifs (bons du Trésor, crédits immobiliers et obligation d’entreprises “pas très bien notés”) qu’elles acceptaient de la part des banques commerciales, pour leur éviter la faillite et pour les inciter à être moins frileuses dans leurs crédits à l’économie.
- Il existe actuellement “beaucoup de liquidités”, autres que la monnaie BC, de par le monde : épargne des ménages (US et autres) gérée par les fonds de pension ; profits des multinationales – qui essaient notamment d’échapper aux impôts dans leur pays d’origine, sans qu’ils soient investis dans la production ; excédents des pays émergents qui, échaudés par les crises financières des années 1980-90, se sont constitué un (large) matelas de précaution.
- Ces “liquidités” (en fait, de l’épargne) cherchent à “se placer” (obtenir une rémunération). Pour récupérer ce pactole, tout en échappant à la réglementation, les banques commerciales et d’autres institutions financières ont mis en place des structures indépendantes (dont les “money market funds”, qui garantissent théoriquement le remboursement) et échappant aux contrôles : c’est le shadow banking (ou “banque parallèle”). Celui-ci leur permet de plus de souplesse dans leurs mouvements, mais il ne bénéficie pas du système de protection fourni au secteur réglementé (garantie des dépôts, dans certaines limites). Cette protection est théoriquement assurée par le système de “repo” (l’emprunteur donne en gage des titres – obligations, bons du Trésor, etc. – qu’il détient). Le “repo” est accompagné d’un “hair cut” – sous cotation des titres donnés en dépôt – qui traduit la plus ou moins grande confiance que l’on a dans les titres donnés en garantie. Les bons souverains des pays réputés “solides” et “solvables” sont évidemment très recherchés car ils sont facilement acceptés en tant que repos – sans haircut ou avec un haircut très faible.
- Les crises financières prennent, de nos jours, la forme de credit crunch : plus personne ne prête sur le marché interbancaire ou contre des titres donnés en “repo” (à moins que ce soit avec un très grand haircut), chacun se défiant de l’autre – mettant en doute notamment la valeur des titres qu’il détient et propose en garantie contre un prêt.
En résumé
En achetant ou en vendant des titres aux banques commerciales (“de second rang”), les banques centrales cherchent à agir sur le taux d’intérêt interbancaire et sur la quantité de monnaie (BC) qui sert aux transactions entre ces banques. Leur but est ainsi d’agir sur la quantité de crédit fait par les banques commerciales, et donc sur l’activité économique. Pouvoir d’action limité dans la mesure où il n’y a pas forcément de “transmission” simple entre ce qui se passe sur le marché interbancaire et ce qui se passe au niveau du crédit – qui dépend tout autant des dispositions à emprunter pour consommer et investir de la population que du bon vouloir des banques. On peut noter que dans tout ce qui vient d’être dit, la “quantité de monnaie” (ou la masse monétaire) autre que la monnaie BC n’a aucune importance – ce qui compte, c’est le crédit et l’activité. C’est pourquoi personne – sauf peut-être la Bundesbank ... – ne s’intéresse plus à elle.
Quelques remarques supplémentaires
Inflation et déflation : elles dependent de l’activité économique, du taux d’utilisation des capacités de production et de la main d’oeuvre. Donc, en partie, du crédit et, indirectement selon une relation floue et fluctuante (la “transmission”), du taux d’intérêt sur le marché interbancaire.
Banque centrale et Trésor public : ce sont deux facettes de l’Etat. C’est ainsi que lorsque la banque centrale d’un pays rachète des bons du Trésor de ce pays, elle peut les faire disparaître sans que rien ne change. En effet, les taux d’intérêt versés par le Trésor lui reviennent – ils font partie des profits faits par la Banque Centrale, qu’elle reverse à son “propriétaire”, l’Etat (le Trésor). Même chose lorsque le Trésor lui rembourse les bons venus à échéance. Si la banque centrale achète les bons du Trésor aux banques commerciales, elle augmente la quantité de monnaie BC dont elles disposent. Avec un effet (“une transmission”) sur le crédit et les prix qui dépend des circonstances – taux d’utilisation des capacités, état d’esprit des agents (ménages, entreprises, banques).
Le cas de la Banque Centrale Européenne : le problème est plus compliqué en ce qui concerne la BCE, qui distribue ses profits au prorrata du poids des Banques nationales partenaires dans son capital, alors que ses bénéfices dépendent des taux d’intérêt des bons émis par chaque Etat souverain. Ainsi les banques centrales française et allemande “récupèrent” une partie des intérêts payés par les grecs, à un taux plus élevé que ceux qui proviennent de leur propre pays.